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La thèse que nous avons l’honneur de soutenir ce jour s’intitule : « ordre, culture et partis politiques sous la troisième République en République Démocratique du Congo. Essai de compréhension du changement – continuité du modèle politique postcolonial ».

 

Cette thèse sera présentée suivant le plan ci-dessous :

1.   Constat général menant à l’étude

2.   Résumé de l’état de la question (les courants de pensée)

3.   Problématique (questions de recherche)

4.   Hypothèses

5.   Explication de la méthodologie (critères de choix et échantillons)

6.   théories de référence

7.   Délimitation du travail

8.   Subdivision du travail

9.   Résultats

10.  Thèse défendue

11.  Suggestions

12.  Pistes de recherche ouvertes par l’étude.

 

S’agissant du constat général menant à l’étude, nous voulons expliquer pourquoi et comment nous avons choisi ce sujet.

 

Depuis bientôt soixante ans, il est observé que le Congo a connu trois républiques avec une longue transition de 16 ans entre la deuxième et la troisième République.

 

Durant toutes ces périodes, la gouvernance est restée quasiment du même modèle que sous la colonisation. Les régimes ce sont succédés sans qu’un changement qualitatif de conditions de vie ait été observé quant à la gouvernance.

 

Le 18 février 2006, la constitution de la Troisième République était promulguée. Elle consacrait non seulement les principes démocratiques mais aussi proclamait l’Etat de Droit et instaurait un nouvel ordre politique démocratique au pays différent des ordres politiques qui l’ont précédé.

 

Le 30 juin 2010, la RDC fêtait son cinquantenaire d’indépendance. C’était le moment du bilan et de l’évaluation du chemin parcouru. Durant cette période, nous avons retenu que le pays a été dirigé par quatre Chefs d’Etat dont chacun prônait l’avènement d’un nouvel ordre politique à son accession au pouvoir :

-      Le Président Joseph Kasa-Vubu                  : 1960 – 1965 (ABAKO)

-      Le Président MOBUTU                           : 1965 – 1997 (MPR)

-      Le Président Mzée KABILA                            : 1997–2001 (AFDL + CPP)

-      Le Président Joseph KABILA                : 2001 à ce jour  (PPRD).

 

Malgré la succession de ces différents dirigeants et partis politiques au pouvoir, le nouvel ordre politique tant prôné et fondé sur l’Etat de droit et des principes démocratiques tarde à voir le jour et ne s’est pas toujours concrétisé dans le vécu quotidien du souverain primaire. Donc, aucun de ces dirigeants n’a réussi à changer l’ordre politique de prédation qu’il a hérité en ordre politique démocratique réel attendu par les citoyens.

 

A la place du nouvel ordre politique tant clamé, nous constatons la continuité de l’ordre politique ancien qui est le prolongement de l’ordre de prédation instauré par Léopold II  et qui s’est perpétué au fil du temps en dépit du changement des partis et dirigeants politiques au pouvoir.

 

Nous voulons vérifier cette expérience sous la troisième République à travers les partis politiques qui ont pignon sur rue, notamment, les partis gestionnaires (PALU et PPRD) et les partis protestataires (UDPS, MLC et UNC) qui constituent notre champ d’étude à travers la perception des cadres et militants desdits partis sur la gouvernance publique, la culture politique, l’ordre politique et le changement politique. Ceci à travers une enquête menée sur terrain.

 

Plusieurs études ont été menées pour comprendre la nature et la qualité du changement de l’ordre politique dans les états surtout postcoloniaux. Elles peuvent être regroupées à travers cinq courants de pensée ci-après :

1.   Le courant historique, qui considère le parti politique comme une série des processus historiques qui combinent la genèse, les crises et la manière dont celles-ci sont éventuellement résolues.

2.   Le courant fonctionnaliste (avec Samuel P. Huntington) qui attribue aux partis politiques africains une fonction de stabilisation de l’ordre politique plutôt que celle de son changement.

3.   Le courant organisationnel qui étudie le parti comme une unité organique distincte des autres unités au sein du système politique. Ce courant permet de constater l’incapacité des partis à contribuer à un changement du système de gouvernance largement fondé sur la corruption et l’impunité.

4.   Le courant stratégique qui étudie les partis à travers leurs décisions à court, moyen et long terme et à travers la manière dont leurs décisions sont prises en tenant compte par exemple des contraintes extérieures.

5.   Le courant constructiviste dont les penseurs voient dans les croyances et les valeurs des choses à expliquer et des éléments cruciaux qui façonnent la réalité.

 

Au regard, d’une part, de l’observation faite sur les comportements des acteurs et partis politiques sur la gouvernance publique de ce pays depuis son accession à l’indépendance jusqu’à ce jour, et d’autre part de la reproduction d’un même modèle de gouvernance à travers les partis au pouvoir en RDC, nous avons cherché à savoir :

1.   Pourquoi la succession au pouvoir des dirigeants et partis politiques différents n’-a-t-elle pas entraîné l’instauration et l’enracinement d’un nouvel ordre politique démocratique en RDC?

2.   Comment les partis politiques en RDC appréhendent – il le nouvel ordre politique ? En d’autres termes, le nouvel ordre politique, reflète t-il « une rupture » ou une « continuité » de l’ordre politique ?

3.   Quel type de culture politique anime l’ordre politique observé en RDC depuis l’avènement de la Troisième République ?

4.   Quels sont les mécanismes à mettre en place pour asseoir l’ordre politique démocratique par l’action des partis ?

 

De ce questionnement, nous avons émis les hypothèses suivantes :

1.   Les raisons fondamentales qui justifient l’incapacité des dirigeants d’asseoir un ordre politique véritablement démocratique malgré les changements de régime, seraient d’une part, la transmission culturelle par imitation du premier modèle de gouvernance publique, alors une gouvernance de prédation et de patrimonialisation héritée du modèle colonial de Léopold II et copié servilement par la classe politique depuis l’indépendance  et d’autre part, les cultures paroissiales et de sujétion dominantes dans la société congolaise.

2.   Le nouvel ordre politique tant clamé ne constituerait nullement une rupture avec l’ancien ordre politique précédant qui a prévalu en RDC depuis qu’elle est constituée comme Etat. 

3.   De là vient que l’ordre politique institué par les partis politiques n’impliquerait pas totalement la participation politique de tous les citoyens à tous les nivaux de l’administration du territoire.

4.   C’est la raison pour laquelle les partis politiques devraient appliquer à la lettre le prescrit de la constitution, les lois relatives au fonctionnement et financement des partis ainsi que leurs statuts et règlement intérieur pour faire accroître la participation citoyenne dans la prise de décision.

 

L’analyse empirique de notre objet d’étude a nécessité de recourir à une méthodologie qui prend en compte la méthode dialectique complétée par celle du structuralisme constructiviste de Pierre Bourdieu et appuyées par l’approche comparative.

Du point de vue épistémologique, nous avons fait recours au paradigme constructiviste comme modèle explicatif.

 

Concernant la méthode dialectique, elle met en exergue les crises, les conflits et les contradictions dans la société étudiée et facilite l’explication à donner au triptyque « ordre, culture et partis politiques ».

 

Pour le structuralisme constructiviste, celui-ci nous a permis de rendre intelligible les notions de l’ordre politique et de la culture politique telles que non dites par la dialectique marxiste. Cette méthode a joué le rôle de dévoilement méthodologique.

 

Quant à l’approche comparative, elle nous a permis de comparer nos unités d’observation, à savoir : le PALU, l’UDPS, le PPRD, l’UNC et MLC, sans oublier les périodes de succession de différents régimes.

 

Pour récolter les données, nous avons utilisé les techniques non vivantes, les techniques vivantes et l’enquête par questionnaire.

 

S’agissant de l’enquête, elle a débuté par une pré-enquête effectuée du 15 au 30 Août 2015 et par l’enquête proprement dite du 15 octobre au 30 janvier 2016. Elle s’est déroulée à Kinshasa qui constitue le siège social des partis politiques retenus comme échantillons.

 

S’agissant de la constitution des échantillons, nous avons retenu d’abord les partis ayant participé aux élections de 2006 et ayant au moins 6 % de sièges à l’Assemblée Nationale. C’est le cas de PPRD avec 22,2 %, MLC 12 % et PALU 6,8 % et ensuite aux élections de 2011, nous avons retenu parmi les partis ayant obtenu plus de 15 sièges le PPRD 62, l’UDPS Tshisekedi 41, MLC 22, PALU 19 et UNC 17 en écartant le PPPD 29 et MSR 27. Ce qui confirme le caractère aléatoire de notre échantillon.

 

Les critères de sélection de ces partis politiques on été d’une part les résultats électoraux de 2006 et 2011 et d’autre part leur pignon sur rue ainsi que leur accessibilité sur terrain.

 

Le type d’échantillon choisi est l’échantillonnage occasionnel ou aléatoire avec comme critère l’accessibilité auprès des enquêtés.

 

Le nombre de sujet enquêtés est de 125 sur base d’une représentativité de 25 enquêtés par parti.

 

Sur 42 questions qui constituent le questionnaire d’enquête, deux d’entre elles forment la préoccupation transversale de cette étude. Elles sont formulées comme suit :

1.   L’ordre politique en place répond – il aux attentes de la population ?

2.   Comment votre parti compte – t- il changer l’ordre politique pour l’émergence de la démocratie ?

 

Au regard de ces questions, le dépouillement nous a donné les résultats ci-après :

1. La majorité des enquêtés, soit 56, 8 %, dit que l’ordre politique en place ne répond pas aux attentes de la population.

 2. Les partis politiques congolais n’ont qu’une seule ambition : exercer le pouvoir sans tenir compte d’une autre gouvernance devant asseoir le nouvel ordre politique démocratique.

 

En ce qui concerne le cadre théorique de référence, nous avons exploité la théorie de Jean Charlot sur les partis politiques, celle de Vincent Lemieux sur les composantes des partis politiques lesquelles sont complétées par la théorie de reproduction de l’ordre social de Pierre Bourdieu développée dans sa méthode structuralisme constructiviste.

 

Pour Jean Charlot, les partis politiques sont appréhendés à travers sept courants d’idée : historique, organisationnel, idéologique, fonctionnel, socio-économique, tactique et stratégique ainsi que typologique.

 

Pour Vincent Lemieux par contre, les sept courants de Jean Charlot ne parvenaient pas à relier entre eux des propositions empiriques portant sur différents aspects des partis ou des systèmes partisans. D’où il s’était investi avec succès à prendre un nouveau départ qui a abouti à la formulation d’une théorie unificatrice de description, d’explication et de compréhension des partis politiques.

 

Quant à la théorie de la reproduction de l’ordre social de Pierre Bourdieu, elle postule un déterminisme de classe selon lequel les instances dominantes s’efforcent de reproduire un ordre établi qui les avantage, telle « la noblesse d’Etat ».

 

Les dimensions inexplorées de ces théories nous ont amené à élaborer la théorie de « l’inaptie  carriériste » qui constitue l’innovation de cette étude. C’est cette théorie qui permet d’expliquer le paradoxe de la succession des dirigeants et partis politiques au pouvoir sans changement de l’ordre politique institué.

 

L’application des techniques de collecte de données nous a conduit à déterminer notre terrain d’étude dans le temps et dans l’espace.

 

Dans le temps, nos investigations vont de février 2006 à septembre 2016. Cette période correspond à l’instauration du nouvel ordre politique caractérisé fondamentalement par la promulgation de la constitution du 18 février 2006 et la mise en place de nouvelles institutions issues des élections démocratiques de 2006 et 2011 depuis celles des années 1960.

 

Dans l’espace, l’étude porte sur la RDC. Cependant, étant donné l’étendue du pays et les difficultés de le parcourir dans un temps record et sans bourse d’études, l’observation scientifique s’est effectuée à partir de Kinshasa, siège des institutions et des Etats-Majors des principaux partis politiques sélectionnés. 

 

Quant à la structuration de notre travail,  outre l'introduction et la conclusion, notre dissertation est structurée en deux parties dont la première, cadre théorico-empirique de l’étude,  est composée de quatre chapitres qui se présentent comme suit : 

-        le premier  porte sur  le cadre conceptuel et théorique ;

-        le deuxième  présente le cadre historique, juridique et politique  des partis  politiques en RDC ;

-        le troisième est axé sur la présentation  et la description  des unités d’observation scientifiques retenues ;

-        le  quatrième  présente les résultats de l’enquête menée sur terrain ;

 

Tandis que la seconde partie, cadre analytique et perspectives, comprend trois chapitres. Il s’agit des chapitres ci-après : 

-        le  chapitre cinquième qui  table sur l’ordre, le parti et la gouvernance publique dans le champ politique congolais : de la rupture à la continuité ;

-        le sixième  table sur l’analyse et  l’appréciation critique globale ;

-        et enfin le septième et le dernier porte sur la tentative de théorisation et les perspectives d’avenir.


 

Au terme de cette étude, permettez – nous de vous présenter les conclusions auxquelles notre recherche a abouti. Il s’agit des résultats ci-après :

1.   La succession des dirigeants et partis politiques au pouvoir n’a pas entraîné l’enracinement de l’ordre démocratique en RDC à cause, d’une part, de la transmission culturelle par imitation   du premier modèle de gouvernance publique, alors une gouvernance de prédation et de patrimonialisation héritée du modèle colonial de Léopold II et copié servilement par la classe politique depuis l’indépendance et d’autre part, les cultures paroissiales et de sujétion dominantes dans la société congolaise.

2.   Les dirigeants politiques se sont succédés au pouvoir mais sans changement radical des conditions de vie de la population par rapport aux potentialités du pays à cause du fait que l’ordre politique institué par les partis politiques n’implique pas totalement la participation politique de tous les citoyens à tous les niveaux de l’administration du territoire.

3.   Le changement des dirigeants et des partis politiques au pouvoir n’est pas suivi du changement  de culture de gestion à cause de l’absence de rupture entre les différents ordres politiques. D’où la continuité d’un même modèle politique post-colonial.

4.   La mise sur pieds d’un nouveau modèle explicatif des partis politiques que nous désignons  « l’inaptie carriériste » qui constitue l’innovation de cette étude. C’est cette théorie qui permet d’expliquer le paradoxe de la succession des dirigeants et partis politiques au pouvoir sans changement de l’ordre politique précédant.

Cette théorie est fondée sur deux modèles que nous avons conçus et nous ont servi de cliché de comparaison pour dégager la nature même de l’ordre politique et de la gouvernance publique en RDC. Il s’agit de modèle démocratique, d’une part, et du modèle anti-démocratique et prédatocratique, d’autre part tels que nous les avons présentés (projection).

De ce cas d’étude, nos hypothèses de départ ont été vérifiées et confirmées et nous permettent de soutenir comme thèse : « la culture politique paroissiale et de sujétion d’une part et celle de prédation, d’autre part, héritées de la colonisation et transmises à travers les régimes politiques successifs sont à l’origine de la continuité de la gouvernance prédatrice conçue par le roi Léopold II. Ce sont ces  cultures qui font obstacle à l’enracinement de la démocratie par les partis politiques ».

 

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  • 30-05-2023 21:58

    Bien